Les stations de sports d’hiver ont construit leur modèle économique à partir des richesses naturelles qu’offre la montagne. Ressource fragile qu’il convient à la fois de sauvegarder et d’utiliser à des fins vertueuses.
En montagne, le dérèglement climatique n’est pas un concept. Cette réalité, les montagnards la vivent, la ressentent, la constatent. Ils sont aux premières loges. La perception du phénomène est finalement peu tangible ailleurs que dans les océans, les littoraux, et en montagne. « Comme tout autre acteur économique, les domaines skiables ont une responsabilité sur les impacts environnementaux et sociaux, sur les ressources naturelles et la biodiversité. Ils ont un rôle à jouer d’autant plus important qu’ils seront demain des territoires éducatifs et pédagogiques », considère Camille Rey-Gorrez, directrice de l’association Mountain Riders, à l’origine du label Flocon Vert. Ils ont aussi tout intérêt à soigner ce qui est finalement leur outil de travail.
Faire sa part, engager des démarches vertueuses. Les domaines skiables, et plus largement les communes qui les accueillent, s’emploient depuis quelque temps déjà à diminuer leur empreinte carbone, souvent grâce à l’innovation. « Des technologies ont permis d’optimiser les coûts et d’économiser la ressource. Il y a eu une évolution très positive, mais on ne se pose pas assez la question de comment baisser la consommation, ce qui nécessite de revoir les pratiques », estime Mme Rey-Gorrez. A l’instar de l’Ademe, Mountain Riders plaide pour la sobriété énergétique avant de penser à la production d’énergie renouvelable. L’énergie la plus propre est celle qu’on ne consomme pas… Pour celle qu’on doit malgré tout consommer, mieux vaut avoir recours à des énergies d’origine 100% renouvelable, certes plus chères. Une initiative adoptée par 48 sociétés de remontées mécaniques françaises.
LA SOBRIÉTÉ D’ABORD
Un domaine s’est bâti sur la sobriété. Arêches-Beaufort a été la première station française signataire de la charte nationale en faveur du développement durable dans les stations de montagne, en 2007. Cette station-village savoyarde a véritablement tiré parti de son environnement pour se construire. Sa situation géographique, sur les contreforts du Mont-Blanc, lui garantit des chutes de neige exceptionnelles, bien conservées grâce à l’orientation Nord et l’altitude du domaine skiable. Les enneigeurs ne couvrent donc que 15 % du domaine, sur les parties basses. Cette neige de culture est d’ailleurs fabriquée uniquement à partir du barrage de Roselend, le réseau étant alimenté par pression gravitaire, ce qui nécessite moins d’énergie.
La sobriété passe aussi par des choix, comme la fermeture des remontées mécaniques en période creuse, les zones non damées. « Ces actions permettent de changer d’échelle en termes d’impact », assure Camille Rey-Gorez. Pour Laurent Reynaud, délégué général de Domaines skiables de France (DSF), « l’innovation est primordiale, et comportementale aussi, autant de la part des professionnels que de nos clients. Il ne faut pas tout attendre de la technologie si on veut conserver une planète propre ». Serre Chevalier a largement utilisé la technologie et s’attaque aujourd’hui à un autre chantier qui repose sur une exploitation plus raisonnée. Une compréhension, une adhésion de la clientèle est forcément nécessaire pour faire accepter les changements envisagés. Le domaine a choisi de la sensibiliser et de la sonder en lançant un site internet dédié, Tous engagés Serre Chevalier. Des pistes en jachère pour laisser la nature se régénérer, skier en haut du domaine et redescendre en vallée en télécabine en cas de manque de neige, fermer l’accès à certains espaces pour protéger la faune et la flore, limiter le damage de certaines pistes pour moins consommer de gasoil… Voilà quelques pistes de réflexion engagées. S’adapter plutôt que lutter.
Serre Chevalier s’emploie depuis 2018 à produire 30% de sa consommation d’ici 2023 en utilisant trois sources d’énergies renouvelables.Serre Chevalier
LA PRODUCTION ENSUITE
La station des Hautes-Alpes s’est surtout illustrée par son initiative inédite, qui capitalise sur ses richesses naturelles. 2500 heures annuelles d’ensoleillement, un réseau dense de bassins versants et des cols d’altitude bien exposés au vent… En plus de réduire sa consommation énergétique, Serre Chevalier s’emploie depuis 2018 à produire 30% de sa consommation d’ici 2023 en utilisant trois sources d’énergies renouvelables : l’éolien, le photovoltaïque et l’hydroélectrique. Sur l’éolien, une technologie s’étant révélée peu concluante, le domaine s’est tourné vers deux éoliennes traditionnelles résistant aux vents très forts, qui produisent 40.000 kWh par an. « La production est bonne mais l’installation coûte cher et l’impact visuel est là », reconnaît Patrick Arnaud, directeur général de Serre Chevalier Vallée domaine skiable (SCV), qui, même s’il ne regrette en aucun cas ce choix, en restera donc là.
Le photovoltaïque, lui, a plus que tenu ses promesses, au point que l’exploitant a équipé des surfaces qui n’étaient pas programmées à l’origine. L’air sec, l’altitude, l’exposition, les températures basses et l’effet albédo (réverbération) de la neige sont particulièrement propices à cette technologie qui représentera 10% de la production totale d’énergies renouvelables. SCV a rétrofité des gares, utilisé les toits de ses bâtiments de panneaux soit traditionnels, soit innovants, comme les équipements semi-rigides et bipodes signés Sunwind Energy. L’hydraulique, enfin, constituera à terme la plus grosse source de production d’énergie renouvelable du domaine (85%), à travers le turbinage des réseaux neige de culture. SCV a fait appel à la société d’ingénierie haut-savoyarde Hydrostadium, filiale d’EDF, pour l’accompagner dans ce projet qui constitue une première en France. La première installation de 180 kWh a été mise en service à Saint-Chaffey cet hiver et la seconde (950 kWh) le sera à La Salle-les-Alpes à l’hiver 2023.
L’hydroélectricité n’est pas nouvelle. Ce qui l’est davantage, c’est d’utiliser son réseau neige de culture pour produire une énergie propre et renouvelable. En Italie, le domaine skiable de La Thuile est le premier au monde à l’avoir développé, dès 2016. Comment ça marche ? Le dispositif utilise la force de l’eau qui circule par gravité dans le réseau de neige de culture pour faire fonctionner les deux turbines qui produisent l’électricité, ensuite injectée sur le réseau électrique italien de CVA-Compagnie des eaux du Val d’Aoste. La société française MND, à travers sa filiale Sufag, a eu pour mission de faire évoluer le logiciel de gestion du réseau de neige de culture. Ce programme a été rentabilisé en seulement trois ans et produit en moyenne 20 % d’énergie de plus qu’il ne consomme. Photovoltaïque et montagne font particulièrement bon ménage. L’entreprise suisse de production, distribution et commercialisation d’énergie, la Romande Energie, dresse le même constat que la station de Serre Chevalier. Elle vient d’inaugurer le premier parc solaire flottant en milieu alpin au monde, situé à 1810 mètres d’altitude, sur le lac des Toules, à Bourg-Saint-Pierre (Valais). L’installation de 2240 m² n’occupe que 2% de la surface du lac et produit 800.000 kWh par an, soit la consommation de 220 ménages. Ce procédé produit jusqu’à 50% d’énergie supplémentaire par rapport à un parc solaire en plaine, grâce au froid, à l’altitude et à l’effet l’albédo, décuplé par la présence de panneaux bifaciaux. Face à ce succès, la Romande Energie souhaite remplacer ce dispositif provisoire de démonstration par une structure fixe encore plus grande sur ce même lac, qui couvrirait l’équivalent de la consommation annuelle de 6100 ménages.
ECONOMISER LA RESSOURCE EN EAU
« Des innovations ont essaimé et sont plus largement utilisées. Je suis frappé par la vitesse à laquelle les engins de damage ont été équipés en GPS – la moitié du parc – permettant de mesurer la hauteur de neige et d’optimiser la production de neige de culture », indique Laurent Reynaud. Courchevel a ainsi réduit de 15 % sa production de neige de culture, de 8 % sa consommation de carburant et de 5 % les heures de damage. Dans la même veine, les logiciels Prosnow et plus récemment Tipsnow permettent aux exploitants de station une gestion fine et en temps réel de leur production de neige de culture. Certains domaines ont choisi de partager leur ressource en eau. À Morzine-Avoriaz, à Manigod et aux Karellis, l’alimentation en eau des alpages pour les agriculteurs est réalisée via le réseau de neige de culture. À La Rosière, l’eau de l’usine à neige peut être utilisée après retraitement comme eau potable de secours à destination de la commune. À Avoriaz, la retenue d’eau potable utilise pour partie l’eau de la retenue du domaine skiable.
BOIS MULTI-USAGES
La forêt est un trésor, son bois une ressource locale dont s’empare de plus en plus le milieu de la construction. Au Corbier Les Sybelles, Ossabois a construit pour le groupe Maulin.ski la première résidence hôtelière conçue en 100% modulaire bois, L’Etoile des Sybelles. Un bâtiment de huit étages comprenant 99 appartements ou suites. La fabrication hors-site et l’utilisation de matériaux renouvelables ont généré une économie de 30 % d’émission de CO2 par rapport à une construction classique. Les modules construits dans l’usine d’Ossabois, en région Auvergne-Rhône-Alpes, ont permis une réduction de 30 à 40 % des déchets.
Rendre à la nature ce qu’elle nous donne. A Morzine-Avoriaz, chaque coupe de bois réalisée sur le domaine skiable est comptabilisée et compensée sur des zones du Chablais, en collaboration avec l’Office national des forêts. La commune de Tignes nourrit un projet conduit en partenariat avec l’ONF et avec le concours de la société MND : une nouvelle forêt multifonctionnelle d’altitude de 4,5 ha, à côté de son domaine skiable. Multifonctionelle, car elle servira à ralentir les coulées de neige, constituera une zone refuge pour le tétras lyre, permettra de stocker du carbone et d’enrichir les paysages de la station. Le sol aussi est source de richesse. Le programme Pyrégraine est le premier à avoir développé les semences cultivées à partir des graines ramassées en montagne, utilisées par les stations pyrénéennes pour revégétaliser leurs terrains, après aménagement. Une initiative similaire a vu le jour dans les Alpes, Sem’ les Alpes. A Morzine-Avoriaz, tous les travaux sur piste bénéficient d’une revégétalisation à base de graminées adaptées au milieu. Ces semences sont même sur mesure à La Clusaz, dans le périmètre de l’AOP reblochon, où l’on plante des graines spécialement destinées au pâturage des vaches.
SEMER LES BONNES PRATIQUES
Cette prise de conscience s’étend aussi aux domaines étrangers. Pyhä, station finlandaise carboneutre, compense les émissions de carbone de ses équipements d’entretien des pistes en finançant des projets de production d’énergie propre reposant sur l’éolien et l’hydroélectricité. Le géant américain Vail resorts a été récompensé par la NSAA, l’équivalent américain de DSF, pour son « engagement à 0 » : zéro émission de CO2 et zéro déchet en décharge d’ici 2030, zéro impact d’exploitation sur les forêts et les habitats. Le groupe réalise non seulement des efforts mais exhorte l’ensemble de son écosystème à opérer une démarche similaire. Elle sensibilise ses clients à la réduction et à la compensation de leur empreinte carbone et travaille avec ses fournisseurs et ses vendeurs à la réduction de leur impact environnemental. Cet appel collectif à l’engagement, c’est ce que recherche Mountain Riders à travers la démarche Flocon Vert. « J’agis en matière de développement durable, je veux aller plus loin et j’emmène l’ensemble des acteurs dans cette voie », résume Camille Rey-Gorrez. L’environnement est l’affaire de tous.
Article issu de « Innovation Book by Mountain Planet / Réalisation : Editions Cosy »
Textes : Cécile Ronjat – Illustrations : Anne Bosquet
Les innovations et les thèmes forts de la montagne sont à découvrir sur le magazine « Innovation Book by Mountain Planet »